La Recette Vincent Favre-Félix

Temps de préparation

Restaurant Annecy
Quel gamin étais-tu ?

Vincent Favre Félix : Un enfant sage, plutôt timide et réservé, qui n’aimait pas l’école et préférait passer ses journées dehors. Je rêvais alors de vivre au sommet de la Tournette ! J’ai grandi au col de la Forclaz, la ville ne m’attirait pas. Mon père était bucheron une bonne partie de l’année et à 10 ans, j’avais déjà ma tronçonneuse, trop content de pouvoir l’accompagner dans les bois. . . mon élément.

Le métier que tu voulais faire enfant ?

Vincent Favre Félix : J’ai imaginé un temps devenir paysagiste, mais en 3ème, j’ai plutôt opté pour moniteur de ski et guide de haute montagne. Mais mon prof de sport voulait que j’arrête le rugby. . . Impossible pour moi ! Alors virage à 180° pour intégrer l’école de cuisine de Groisy. J’ai fait mon apprentissage de 2 ans aux côtés de Robert Bastard-Rosset à l’Hôtel du Commerce de Thônes. Un patron avec de belles valeurs. Je me suis perfectionné ensuite en pâtisserie, en intégrant les cuisines du Père Bise à Talloires, 2 macarons à l’époque. . .

Et le sport dans tout ça ?

Vincent Favre Félix : Il était toujours là ! Un pilier dans ma vie. Et ce n’est rien de le dire. Je jouais au rugby à Annecy à cette époque et ma copine devait quitter la région pour faire des études dans le sud-ouest. Je me suis dit que c’était l’occasion rêvée d’intégrer une équipe de haut niveau. J’ai quitté le monde de la cuisine, et signé avec le club d’Oloron-Sainte-Marie qui jouait en élite jeune. Le club m’a trouvé un boulot chez un chocolatier confiseur, la Maison Verdier à Pau. Une époque fabuleuse. . .

La cuisine a gagné le match, au final ?

Vincent Favre Félix : Disons qu’avant que le plaisir ne tourne à la routine, il a fallu rentrer. Mon père me faisait du pied pour l’aider dans son restaurant de la Pricaz, au col de la Forclaz. Je suis revenu en février 2000 et en mai, lui qui, hors saison, était bucheron-débardeur, a eu un grave accident dans les bois en se prenant un arbre sur la tête. Par la force des choses, moi qui comptais faire mes armes auprès de grands chefs, j’ai dû reprendre l’établissement familial et ses 15 salariés, sans formation. Je ne connaissais pas grand-chose au monde de l’entreprise, faut bien l’avouer ! Ça a été très dur. . . tant moralement que financièrement. Il fallait remettre le restaurant aux normes, entreprendre de gros travaux, s’endetter, trimer dans un climat familial compliqué. Je n’étais pas armé pour faire face. Je me suis retrouvé au bord du gouffre. Et la chance m’a enfin souri. J’ai eu l’occasion de rencontrer Marc Veyrat qui m’a accompagné, formé, il m’a appris la vraie cuisine, les cuissons, à oser. . . Au final, j’ai sauvé l’établissement après 11 ans de galères ! Mon père a saisi l’opportunité de vendre les murs. . . Tout ça pour ça. . .

Une pilule difficile à avaler ?

Vincent Favre Félix : Oui, mais j’ai beaucoup appris durant cette période. Marc Veyrat m’a bien proposé de reprendre avec lui l’Eridan, mais je préférais un petit chez moi, qu’un grand chez les autres. . . Mon grand-père m’avait assez rabattu les oreilles avec sa formule !

Et pour y arriver, il y a eu encore un peu de chemin ?

Vincent Favre Félix : Oui, un bref passage chez Robert Dunoyer à l’Espace 55, et surtout l’Auberge du Lac à Veyrier où il y avait tout à faire et des patrons qui allaient m’en donner les moyens. J’y suis resté 7 ans à mettre à profit mes différentes expériences et trouver ma cuisine. Et. . . j’ai explosé en vol. 2018, j’ai fait un gros burn out. A ramasser à la petite cuillère. Plus rien ne comptait. La tête lâchait, le corps ne suivait plus. Il y avait du travail ! Je me suis fait accompagner d’un coach pour remonter la pente, retrouver du sens et de l’équilibre. Ça a mis du temps, mais on y est arrivé. J’ai compris ce qu’était la vie. J’ai réalisé que j’avais une famille. Et je suis tombé sur la petite annonce de l’Abbaye d’Annecy-le-Vieux. Le lieu était magique, atypique. J’allais être indépendant, ouvrir mon propre restaurant, mon petit chez moi. En juin 2019, je signe. Le début du renouveau.

Manger sur Annecy

Vincent sur le grill…

Chef étoilé Annecy
Ta plus belle rencontre professionnelle ?

Vincent Favre Félix : Eric Bouland avec qui je fais aujourd’hui un tandem parfait. Lui à gérer les restaurants, à driver les équipes avec humanité et cœur, moi à créer en cuisine et emmener ma brigade à l’aventure.

Ta plus grande émotion culinaire ?

Vincent Favre Félix : La première fois que j’ai mangé chez Marc Veyrat. Il y a du génie dans sa cuisine ! Une émotion que je retrouve aujourd’hui chez Laurent Petit ou David Toutain.

Ta madeleine de Proust ?

Vincent Favre Félix : La polenta au chocolat. Le retour aux origines italiennes de ma mère. C’est mon plat doudou.

Le plat de ton enfance ?

Vincent Favre Félix : La soupe d’orties de ma mère.

Ton plat signature ?

Vincent Favre Félix : L’omble chevalier confit à l’huile d’olive et fumé au foin, servi avec un sorbet d’omble et un yaourt à l’anis qu’on va décliner avec les beaux jours en citron vert verveine.

Hors-mis la cuisine française, tu pourrais te laisser inspirer par d’autres courants ?

Vincent Favre Félix : Les techniques du japon m’intéressent. Mais mon inspiration, je ne la puise que dans ma région, c’est elle qui me nourrit.

Tes associations de saveurs les plus audacieuses ?

Vincent Favre Félix : L’œuf, beaufort, arabica ou les Saint jacques, sapin et panais. En dessert, peut-être le chou-fleur, chocolat blanc, orange. En fait, j’aime, quand je vais dans un gastro, être surpris, faire des découvertes, quitte à ne pas apprécier, plutôt que de manger un plat que je connais, un bon classique, bien rassurant qui va m’ennuyer ! Je suis sensible à la cuisine d’Anne-Sophie Pic qui propose des assiettes folles. Ou de Laurent Petit qui te sert des arrêtes de poissons ! Un ingrédient que je n’aurais jamais imaginé cuisiner.

Ton meilleur souvenir de cuisine ?

Vincent Favre Félix : Quand on a cuisiné avec une dizaine de chefs au profit de l’association « A chacun son Everest » qui vient en aide aux enfants atteints de cancer ou de leucémie, au Père Bise. Un beau moment de partage. Et puis, quand j’ai eu mon premier macaron, et qu’on s’est retrouvés tous les chefs étoilés pour faire une photo au-dessus du lac. A l’issue de la séance, on est parti chez Jean Sulpice avec Laurent Petit, Yoann Conte, Florian Favario. . . on a passé une soirée extraordinaire ! Des moments de partage et d’émotions entre nous trop rares à mon goût. . .

Ton pire cauchemar en cuisine ?

Vincent Favre Félix : Quand j’étais à la Pricaz, j’avais présenté un soir la carte que je venais d’élaborer à Marc Veyrat et il me la renvoyée à la figure en me demandant de la refaire intégralement pour le lendemain matin 8h. . . J’avais encore un service à assurer le soir. Il m’a rétorqué : “et t’as prévu quelque chose pour cette nuit ?” Au final, même si c’était dur, j’ai adoré. Il a fallu que je puise plus loin des idées, que je sorte de ma zone de confort, que je me révèle. Ce fut formateur ! Et le lendemain de bonne heure, il était là !

Ta plus grande fierté ?

Vincent Favre Félix : Ma femme et mes enfants ! Si j’en suis là, c’est grâce à eux.

Restaurant Bistrot Vincent
Atelier de Giulia
Ton plus gros regret ?

Vincent Favre Félix : Je n’en ai aucun ! J’ai toujours fait ce que j’ai voulu, même si j’ai eu des hauts, des bas et un parcours semé d’embuches. La seule amertume que j’ai, c’est d’avoir attendu de faire un burn out, d’exploser en vol, pour me rendre compte que j’avais une famille à qui je manquais beaucoup. Ma femme a tenu bon, a passé une année terrible à mes côtés, a patienté le temps que je me relève. Et puis bien sûr, après, il y a eu la fierté de décrocher mon étoile, d’être enfin un petit peu reconnu dans le métier. Dans ce métier si difficile et passionnant, où chaque jour tu t’efforces de donner le meilleur de toi, sans toujours le retour escompté. Cette reconnaissance. T’as pas d’étoile, t’as l’impression de ne pas exister ! Et quand la première brille enfin, ça y est, tu existes un tout petit peu plus. . . Mais c’est si bon. Surtout quand on sort d’aucune grande maison, je me suis fait tout seul. C’est d’autant plus gratifiant.

Ton caractère ?

Vincent Favre Félix : Un hyper sensible derrière une grosse carapace. Impatient et susceptible, mais ça s’améliore avec le temps et le travail !

Si tu devais décrire ta cuisine ?

Vincent Favre Félix : Audacieuse ! Je ne fais pas des mélanges pour faire des mélanges, il faut que ça colle ! Et j’aime les goûts marqués, prononcés, qu’on retrouve l’authenticité du produit derrière.

Aujourd’hui, tu es à la tête de 4 établissements, tu comptes te cloner ?

Vincent Favre Félix : Euh, vaut peut-être mieux pas ! Du mercredi au samedi, jours d’ouvertures du gastro, je serai sur place, à l’Abbaye, pour tous mes services. Et les débuts de semaine aux Nouvelles Galeries. Le but étant de former les meilleures équipes sur place pour que ça tourne parfaitement, même quand je ne suis pas là. Si je veux que ça dure et au haut niveau, en cuisine comme en sport, je sais, aujourd’hui plus que jamais, devoir ménager la monture. Le temps de repos est aussi important que celui de l’effort. C’est pour cette raison que je ferme le gastro 3 jours consécutifs, du dimanche au mardi. Peu le font dans la profession.
Pour mes équipes, c’est top. Pour l’ambiance au travail également. Et je suis content de le faire. Aux Galeries, c’est un autre défi avec l’ouverture 7 jours sur 7. Mais on s’attache à mettre de très bonnes conditions sociales également, différentes, certes. Il a su se montrer inventif. . .

Tes échappatoires ?

Vincent Favre Félix : Il faudrait que je me remette au sport ! Après 20 ans de rugby, je n’ai pas un endroit du corps qui n’ait pas été cassé, et souvent mal réparé. Quand on est jeune et con, on ne se soigne pas sérieusement, et plus tard, on le paie. . . Mais de temps en temps, quand je fais un tour de vélo ou que je cours avec ma femme,

Ca fait tellement de bien. . . Pour l’heure, mes échappatoires, ce sont surtout ma femme et mes gamins, mes amis aussi. J’aime sortir, manger dehors, boire un coup avec les potes, je suis un bon vivant !

Si tu avais une baguette magique, qu’est-ce que tu changerais dans ta vie ?

Vincent Favre Félix : Très honnêtement, je m’accorderais un peu plus de souplesse financière, même si ça ne fait pas tout. On met beaucoup de cœur à l’ouvrage, avec mon épouse, on est 2 indépendants, 2 gros bosseurs, avec 3 enfants. On aime la vie et en faire profiter les autres, sans compter, mais on est comme ça. Un peu de souffle financier nous donnerait davantage de sérénité.

Imagine, demain un méchant Covid et tu perds définitivement le gout et l’odorat, dans quel métier te reconvertis-tu ?

Vincent Favre Félix : J’aurais adoré être guide de haute montagne, mais je n’ai plus 20 ans. Avant d’entrainer les gens là-haut, faut déjà pouvoir se trainer soi-même ! Et là, y a du boulot ! Sinon, en plus réaliste, j’aimerai faire profiter les jeunes chefs de mon expérience, les accompagner dans leur création d’établissement, les conseiller dans ce qu’ils peuvent faire et surtout leur éviter les « conneries » que j’ai pu faire.

Servir aussitôt.
Bonne degustation !

Restaurant Bistrot Vincent